© Sophie Brissaud

Enfant, quelle place occupait la cuisine ?
Mon père et ma mère ne travaillaient pas du tout dans l’univers de la restauration. C’est ma mère qui cuisinait, c’était très bon mais cela restait classique. Mes parents étaient souvent absents car ils travaillaient tous les deux, j’ai commencé à cuisiner, et j’y ai pris goût. Nous n’avions pas forcément l’habitude de manger en dehors de la maison et nous ne mangions pas beaucoup de gâteaux. Parfois, nous allions à la pâtisserie et j’étais émerveillée par le visage des clients : ils avaient l’air tellement heureux ! C’est ce qui m’a touché en premier, ce bonheur indescriptible que les gâteaux faisaient naître. Depuis que j’ai 5 ou 6 ans, je veux devenir pâtissière, c’est un métier magique !

Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de devenir pâtissière professionnellement parlant ?
Quand j’étais lycée, j’ai longtemps hésité entre devenir pâtissière et boulangère. J’ai eu la chance de faire un stage dans une boulangerie mais les clients ne semblaient pas aussi heureux que dans une pâtisserie. Le pain, c’est pour remplacer une partie du déjeuner alors que la pâtisserie, c’est vraiment quelque chose en plus. Le plaisir semblait vraiment différent. J’ai ensuite fait des études de pâtisserie à Tokyo.

« La pâtisserie, c’est la France ! »

Après vos études, vous avez travaillé dans des pâtisseries japonaises ?
Non, ce n’était pas possible. Quand j’ai fini mes études,  j’ai commencé à chercher du travail et je n’ai pas arrêté d’essuyer des refus. À chaque fois, c’était la même réponse : «  On ne prend pas de filles ». J’étais très choquée par ce type de réponses, mais cela m’a donné envie de me battre encore plus. Cela m’a aussi motivé à partir en France pour apprendre encore plus de choses sur la pâtisserie. Et je suis venue !

Pourquoi la France ?
C’était évident pour moi. La pâtisserie, c’est la France ! Au début, je voulais vivre ici pour découvrir de nouvelles expériences. Si je pouvais trouver un travail en plus, c’était parfait. Mais j’étais toute seule, je ne parlais pas français et je connaissais pas beaucoup de monde.

Un cheesecake aérien citron, bulle de verveine et glace fraise

Quelles sont les principales différences entre le Japon et la France ?
À mon arrivée, j’étais très surprise car je ne connaissais pas du tout le concept de boulangerie-pâtisserie. Cela n’existe pas au Japon et, pour être franche, j’étais un peu déçue car dans ce type de boutiques, les desserts se ressemblent tous, ont toujours un peu le même goût et sont généralement peu inventifs. Ce n’est pas comme dans des pâtisseries classiques comme chez Ladurée ou Pierre Hermé où la pâtisserie occupe la place centrale. Le goût était aussi très différent du Japon, car la farine utilisée, la dose de sucre ou les fruits qui existent en France, ne sont pas du tout les mêmes. J’ai pu découvrir beaucoup de fruits que je ne connaissais pas.

Un jour, une personne que je connaissais m’a présenté à une pâtisserie dans le XXème arrondissement. Le chef de Sucré Cacao a été très compréhensif car je ne parlais pas du tout français et il m’a donné ma chance ! Après Sucré Cacao, je suis partie travailler dans une autre pâtisserie avant de venir au restaurant Stella Maris.

Et vous avez découvert le monde du dessert à l’assiette…
Oui, c’est cela. Mais c’est un pur hasard ! Une amie japonaise était la pâtissière en chef, et son second est parti du jour au lendemain. Elle m’a appelé pour lui donner un coup de main. Au début, cela ne devait durer que quelques jours. Et petit à petit, j’ai découvert ce travail du dessert à l’assiette qui est très différent du travail dans une pâtisserie. C’est quelque chose de très vivant, de live, tout est fait à la minute et cela m’a plu énormément. Dans une pâtisserie, tout est joli, il faut toujours penser à ce que les gâteaux conservent leur forme toute la journée. Et vous êtes donc obligé de travailler cet aspect là en rajoutant de la gélatine, des stabilisateurs. Ce qui change le goût et les textures. Les desserts à l’assiette, c’est aussi plus libre créativement parlant. Dans une pâtisserie, les tâches sont plus divisées alors que dans un petit restaurant, vous devez tout faire de A à Z. Au début, les desserts étaient très classiques mais cela m’intéressait. Je suis devenue très forte pour faire des traits de sauce avec la cuillère ou des petits points (rires).

« Travailler avec des cuisiniers m’a beaucoup apporté, car leur approche d’un dessert est très différente de celle d’un pâtissier. »

Et vous êtes ensuite partie à la Truffière
Oui, c’était une expérience complètement différente. J’étais chef pâtissière et surtout toute seule. J’avais un tout petit poste au milieu des cuisines, le poste de cuisson était juste à côté de moi. Les débuts ont vraiment été difficiles mais petit à petit, j’ai trouvé plein de techniques pour envoyer les plats. C’est aussi à ce moment là que j’ai commencé à travailler avec les cuisiniers en utilisant certaines de leurs techniques, en leur prenant des légumes ou en rajoutant des herbes dans mes desserts. C’est la première fois que j’étais amené à créer mes desserts. Il fallait changer toutes les semaines. C’était très intense, il fallait réfléchir tout le temps. La carte changeait quatre fois par an et le menu déjeuner changeait toutes les semaines avec deux desserts proposés qu’il fallait inventer. Travailler avec des cuisiniers m’a beaucoup apporté, car leur approche d’un dessert est très différente de celle d’un pâtissier : les goûts, les couleurs, les textures. Je suis parti ensuite à Pau pour travailler aux Papilles insolites, une cave à vin pendant environ deux ans, puis je suis revenue à la Truffière où j’ai passé presque huit ans au total. Avec le chef Jean-Christophe Rizet, le projet d’Accents table bourse a commencé à naître.

Quel est le projet du restaurant Accents table bourse ?
Une cuisine raffinée dans un cadre moins formel. Nous sommes dans un quartier d’affaires, donc le midi change beaucoup par rapport au soir. Le midi, c’est quelque chose de rapide, dans des fourchettes de prix très précises avec des propositions à la carte. Le soir, nous sommes plus dans un menu dégustation en plusieurs étapes.

Un dessert miso yaourt yuzu et datte qui joue sur l’acidité et le salé.

Vous êtes maintenant à la fois au four et au moulin ?
Oui, c’est très intense, car je travaille aussi sur la gestion du restaurant, le recrutement des personnes, la discussion avec le chef Romain Mahi (qui vient d’être nommé chef Jeune Talent Gault & Millau 2019) et le sommelier Etienne Billard, tous deux rencontrés à la Truffière. J’ai donc beaucoup moins de temps pour créer les desserts et je suis toujours seule à ce poste, c’est donc très électrique. Nous sommes cinq en tout avec un recrutement en cours pour le service.

La création des desserts est donc plus difficile ?
Oui, surtout en hiver car il y a très peu de fruits. Mais je travaille à côté des cuisines, donc je regarde beaucoup ce que Romain fait et je n’hésite pas à leur piquer des idées ou des ingrédients (rires). Je leur ai piqué de la betterave et des topinambours pour faire des glaces, je leur ai pris des navets pour faire de la purée en rajoutant du miel. Romain qui est le nouveau chef est plutôt sur le sucré alors que je suis plutôt sur le salé. Ce qui fait que dans ses assiettes, il y a toujours quelque chose de sucré, alors que moi je mets très peu de sucre. Les clients sont donc très contents car il y a un bel équilibre tout au long du repas. Il est aussi important pour le menu dégustation que les clients mangent tous les plats jusqu’aux mignardises (un chiffon cake ultra généreux mais très léger). Il ne faut donc pas que cela soit trop sucré.

La petite mignardise : le chiffon cake

Où trouvez-vous votre inspiration ?
Pour créer mes desserts, je regarde souvent les magazines de modes, les vêtements dans la rue, les fleurs. Je ne regarde pas trop les autres desserts. Je suis vraiment intéressée par les couleurs, les matières. Parfois, ce sont des choses très bêtes ou banales. Par exemple, j’avais trouvé un gel douche avec un parfum au réglisse et une texture très particulière. Il y avait de jolies associations et cela m’a inspiré. Je dessine très peu, sauf pour ne pas oublier. J’imagine le dessert dans ma tête, et ensuite je me lance. La chose la plus importante, c’est le goût, ensuite la texture, enfin le visuel et la quantité.
J’essaie aussi d’utiliser très peu de farine, car cela alourdit trop le dessert, et il y a déjà de la farine dans le chiffon cake. Il faut que mes dessert soient légers, c’est très important pour moi. !

Il est aussi possible de retrouver les chiffon cake d’Ayumi à Kitsuné Café ou les commander à emporter.